« Nous ne sommes pas tous égaux face aux addictions »
Trois questions à … Jocelyne Caboche, Directrice de recherche (Cnrs), au laboratoire Neurosciences de l’Institut de biologie Paris-Seine (IBPS).
L’Express : Les différentes drogues – opium, cocaïne, cannabis, alcool, tabac, amphétamines – sont, pour certaines, connues depuis des millénaires. Leur consommation s’est-elle banalisée dans nos sociétés au point de devenir un enjeu majeur de santé publique ?
Reste que leur utilisation a longtemps été perçue comme une faiblesse de la volonté alors que, de nos jours, elle est clairement reconnue comme une pathologie cérébrale, induisant des effets durables dans le cerveau. Cela s’explique par le fait que les études scientifiques se sont multipliées ces dernières années et que l’importance des maladies mentales est devenue un enjeu de santé publique : les addictions liées à l’alcool et au tabac ont un coût qui a été estimé à 120 milliards d’euros en 2010 (contre 10 milliards pour les drogues illicites).
Vous travaillez depuis une vingtaine d’années sur les phénomènes d’addiction. Mais comment se définit une addiction ?
Elle se met en place lorsque l’on passe d’un usage récréatif et ponctuel, à une consommation compulsive, abusive et non contrôlée. Prenez le cas de la cocaïne : après une cure de sevrage, il y a une rechute au bout de deux ou trois mois dans 50% des cas. Durant la guerre du Vietnam, les soldats américains prenaient beaucoup d’héroïne pour supporter l’enfer qu’ils avaient à affronter : après leur retour au pays, ils étaient sevrés et arrêtaient donc l’héroïne. Mais bien des années après, certains sont revenus au Vietnam juste pour un voyage commémoratif. Et ils sont retombés dans leur addiction… Cela montre qu’en retrouvant un environnement, on peut replonger.
Mais il faut bien comprendre que toutes les drogues n’ont pas la même puissance addictive. Par ordre d’importance, il y a d’abord la nicotine, les opiacés, la cocaïne, l’alcool, puis le cannabis. Ensuite, nous ne sommes pas tous égaux face aux addictions : il y a des facteurs génétiques, sociaux et environnementaux. Enfin, certains d’entre nous sont plus prédisposés en fonction de leur âge. Uncerveau d’adolescent n’est pas encore mature, donc il est plus vulnérable.
Quels sont les mécanismes cérébraux à l’origine des addictions et quelles sont les pistes thérapeutiques sur lesquelles vous travaillez ?
Je veux d’abord comprendre, via l’imagerie cérébrale, comment l’exposition aux drogues modifie le cerveau. Puis, en travaillant sur des modèles animaux, on cherche à définir le mécanisme : ces différentes substances – cocaïne, ecstasy, tabac ou alcool – pénètrent rapidement dans le cerveau et agissent sur une zone appelée « le circuit de la récompense ». Là, elles amplifient l’activité des neurones dopaminergiques, augmentant le taux de dopamine, cette molécule du plaisir, dans le cerveau. Peu à peu, les drogues détournent ce fameux circuit de la récompense en jouant sur la plasticité cérébrale.
Avec mon équipe, j’ai pu identifier des voies biochimiques qui sont à l’origine de cette plasticité neuronale à long terme. Nous élaborons donc de nouvelles molécules agissantes entre l’enzyme et le noyau qui bloquent cette plasticité liée aux différentes drogues. Tout comme nous travaillons sur les récepteurs de la dopamine. Ces nouvelles pistes thérapeutiques doivent maintenant être validées par des tests cliniques d’ici deux ou trois ans.
* Sorbonne Université – Campus Jussieu (Métro Jussieu), amphithéâtre 25, 4 Place Jussieu, 75005 Paris. Rens. www.semaineducerveau.fr
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