Lettre d’un père…
Lorsque j’étais tout enfant, je me disais qu’un jour je serais grand et qu’il me faudrait marcher sur les traces de mon père pour effacer les siennes et laisser mes empreintes. Mais jamais, pas un jour depuis tant et tant d’années, je n’ai eu à chasser de ma mémoire sa présence si réconfortante et sa tendresse bourrue qui m’ont donné des ailes. Il y a ainsi des souvenirs si fortement ancrés en nous-même qu’ils nous apportent, au creux des vagues à l’âme, une formidable bouffée d’espoir et la force de se ressaisir. J’ignore si je suis et serai pour toi aussi bon, j’ignore si tu auras de moi l’image d’un père » copain » – ce que je déteste – ou si, au contraire, tu garderas la mémoire de mon infinie tendresse. Je sais, cependant, au risque de t’ennuyer, qu’il me faut continuer à te guider pour que tu puisses, sur la route de ton choix, aller de l’avant sans te retourner. J’ai l’immodestie de croire que, grâce à ton indulgence et à ta bienveillante attention, ces lignes n’auront peut-être pas été écrites en vain.
Je sais qu’il est plus difficile de gagner et de conserver l’estime de ses enfants que celle de son prochain. Je ne peux pour l’instant apaiser tes cris de bébé, qui réveillent en moi les souvenirs de mon enfance, que par des guignolades. Plus tard, j’éviterai de t’asséner toutes ces » vérités » et c’est pour cela que j’ai choisi de m’en remettre au temps pour que tu en prennes connaissance quand tu le souhaiteras. J’espère te dire ce que je pense, ce que je crois, et j’aurai alors accompli ce que chaque père doit pouvoir confier à ses enfants. Ainsi, entre nous, n’y aura-t-il jamais de conflit. Ne dis rien. Un sourire de toi, un mot, à l’occasion, à la volée, seront pour moi la preuve que tu auras parcouru certaines de ces lettres. Les marins égarés sur une île déserte jettent à la mer, quand ils l’ont à portée de la main, une bouteille messagère de leur ultime espoir. Le mien, plus modeste, est que ces pages te parviennent, un jour ou l’autre, d’une manière ou… d’une autre.